J'ai des envies de magie noires

La queue haut perchée sur sa croupe, ses crins voletant au vent et lui fouettant le visage, la brise froide et mordante qui lui enserrait les yeux et les membres. Ses foulées amples et souples faisaient s'allonger le sabot sous tous ses angles, faisait à peine trembler le sol sous sa course. Soudain, il pila au beau milieu d'un talus recouvert d'herbe verte. Des gerbes de terre volèrent autour du petit cheval gris qui semblait livrer une course contre le temps, le défier sans cesse. Et le temps semblait aimer cette concurrence ; Until Dreams ne prenait plus une ride depuis un certain moment. Il baissa brusquement la tête et arracha vivement une touffe d'herbe avant de relever à nouveau ce visage ciselé comme sur un parfait modèle. Les naseaux dilatés, à peine essoufflé, le jeune gris fit un brusque écart et descendis la butte d'herbe à plein galop. Il pila de nouveau, comme un jeu. Mais un fin observateur aurait tout de suite remarqué que cette fois-ci, c'était une odeur douceâtre qui le faisait s'arrêter. L'effluve de plusieurs canidés parvenait à ses naseaux largement ouverts. Ses flancs se soulevaient rapidement et son cœur battait la chamade. Il fut tenté de faire immédiatement demi-tour et de s'enfuir du même train mais une odeur secondaire qui se mêlait à celle des affreux fauves, une odeur qu'il aurait pu reconnaître entre mille. Sans une seconde d'hésitation, n'écoutant plus son instinct qui lui ordonnait de fuir, il pris un galop modéré tout en suivant l'odeur de la jument qu'il avait flairée.
Encerclée de loups, Lucinda restait plantée au beau milieu du cercle de prédateurs avides de sang. Until Dreams aurait bien lâché une plaisanterie en tout genre, comme d'ordinaire mais un simple regard de Luce lui fit comprendre qu'il valait peut-être mieux se taire. Les loups ne l'avait pas encore aperçu et concentraient leur attention sur la jument rouanne. Un léger sourire qui se voulait détendu se contracta sur ses lèvres et un petit bruissement de feuilles fit tourner la tête de tous les loups vers lui au même instant. « Oup's... » Il recula de quelques pas et fit carrément demi-tour avant de fuir au triple galop. C'est ce qu'attendaient précisément les prédateurs qui se lancèrent à sa poursuite. Le jeune gris ne cessait de se répéter qu'il n'était qu'un parfait idiot. Arrivé dans un défilé rocheux, l'étalon se vit coincé et obligé de faire demi-tour et de se tenir face aux canidés baveux. Ils ne l'avaient pas tous suivit ; plusieurs étaient sans doute encore avec Luce. Une moue dégoutée se dessina sur le visage d'Until. « Non mais vous vous êtes vus ? On dirait des vieilles pantoufles dégoûtantes et toutes baveuses. » Un claquement de mâchoires de celui qui semblait être leur chef fit taire Until.

Le hennissement si facilement de Luncinda déchira l'air autour des animaux, faisant un instant cesser les loups d'avancer inexorablement vers le jeune gris. Son cœur se serra et il se pris à espérer que rien ne lui était arrivé. Mais pour le moment c'était sa vie qui était en jeu et il devait impérativement se sortir de ce pétrin avant que les loups soient sur lui. Un loup retroussa ses babines, dévoilant ses dents jaunâtres. Le camarguais fit la moue et détourna momentanément les yeux. « Pouah, on vous a jamais appris la politesse ? Quand on pue du bec on se la ferme ! » Ce qui eu l'effet d'un grondement sourd et général chez les loups. Il recula plus encore jusqu'à être parfaitement acculé contre les rochers. Puis il prit le peu de place qui lui restait pour prendre son élan et sauter par-dessus la meute qui claqua des dents sous son ventre dodu. Il repartit à plein galop, orientant ses oreilles vers l'avant pour tenter de capter un son qui parviendrais de sa sœur. Mais rien ne se faisait entendre sinon le bruit sourd de ses foulées sur le sol herbeux et le son du halètement de la meute derrière lui. Un ravin se présenta quelques instants plus tard devant lui. Il observa sa taille et en conclut qu'il n'avait pas le choix. Il arriva devant le précipice ; l'étalon se ramassa sur lui-même, ses muscles se tendirent dans un ultime effort et d'une puissance propulsion de reins, il effectua un saut spectaculaire au-dessus du ravin. Une fois de l'autre côté, il se retourna, satisfait. Plusieurs loups tentèrent de sauter et tombèrent dans un hurlement effroyable dans le gouffre sans lumière. Les autres s'arrêtèrent, essoufflés, furieux devant cet obstacle infranchissable. Une moue moqueuse se peignit sur le visage d'Until Dreams. « Alors bande de tas de poils baveux ? Vous avez pas l'air idiots plantés là, au bord d'un ravin. Distancés par un vulgaire herbivore, quelle hoonte ! Allez à plus les loosers ! » Il ponctua sa phrase d'un grand sourire et repartit au grand trot à la recherche de sa sœur.

Le bruit étouffé de sabots qui touchaient régulièrement le sol fit immédiatement stopper le jeune étalon gris ; il dressa ses oreilles, à la recherche du moindre son. Mais brusquement, plus aucun bruit ne se faisait entendre. Il était là, seul, au milieu du silence. Le gris leva un sourcil circonspect. Il n'était pas fou, il n'avait pas rêvé : il avait bien entendu des bruits de sabots et... le bruit d'un petit rire étouffé stoppa net ses réflexions. Sans chercher à comprendre, il s'élança immédiatement en direction de cet infime résonance. Il entraperçut de loin une silhouette d'équidé et en déduit que c'était sa sœur ; ils étaient seuls dans cet endroit inconnu.
Le jeune cheval accéléra l'allure ; il se rapprochait de plus en plus de la belle rouanne. Au fur et à mesure qu'il s'avançait, il se rappelait les merveilleux moments passés ensemble. Il cria lorsqu'il fut tout proche : « LUNCINDA ! » La forme indistincte ne lui répondit pas. Étonné, Until se rapprocha encore et constata avec déception qu'il s'adressait à un vulgaire tronc d'arbre mort. Vexé, il se détourna de la chose puante et pourrie pour se retrouver face à face avec sa sœur. Il pria un instant pour qu'elle ne l'ai pas vu dans cet état semi-imbécile et la regarda avec un léger sourire, un peu gêné.

« Tiitii !! » A l'appel de ce nom si familier et pourtant qu'il avait oublié depuis ce qui lui semblait être des siècles, Until Dreams frémit de bonheur. Il dressa immédiatement les oreilles vers l'avant et un sourire illumina son visage. Il avança de quelques pas hésitants puis les allongea tout à fait, rompant la distance qui le séparait de sa sœur. Le jeune gris frotta tendrement ses naseaux à ceux de la belle rouanne, les yeux pétillants. « Si je m'attendais à te trouver ici... » murmura-t-il avec une joie non dissimulée. Mais tout-à-coup, il se rembrunit, l'éclat de ses yeux devint terne et il regarda autour de la jument. « Tu es toujours avec ton... fier destrier ? » Le mépris se lisait sur les lèvres d'Until comme dans un livre. Cet imbécile, ce rat puant, pensait-il. Il n'avais jamais haït quelqu'un à proprement parler. Sauf lui. L'amant en apparence si tendre et si doux avec sa belle et naïve compagne. Le Camargue avait longtemps pensé que cet étalon avait quelque chose d'impur en lui, qu'il avait le fond mauvais. Mais il n'avait rien dit, à personne. Et le jour où il avait quitté le nid familial, il s'en était voulu comme jamais de laisser sa sœur bien-aimée à ce tyran. Le gris aurait été capable de le tuer, il le sentait si jamais ce malfrat avait osé poser ses yeux sur sa sœur. Pourtant il n'en avait rien fait. Et il se doutait qu'il allait le regretter à jamais.

Until Dreams avait déjà peur de ce que sa jumelle s'apprêtait à lui répondre. Il tremblait secrètement que ce prétentieux soit toujours d'actualité. Aussi, lorsque sa sœur lui déclara d'une voix claire et enjouée, il en resta bouche bée. « Évidemment ! » Ce simple mot avait suffit à égaliser un tremblement de terre et un tsunami dans le cerveau du gris. Puis la colère monta. Il se mit à faire les cent pas devant la jument, à marmonner dans sa barbe puis finalement se planter devant elle, le regard fixe et les sourcils froncés. Il ouvrit la bouche pour émettre une protestation, pour lui clamer que non, ce n'était pas une bonne idée de continuer sur ce chemin, non non non et non que ce charlatan l'emmènerait en Enfer mais il n'en eu pas le temps. La rouanne lui coupa l'herbe sous le pied. « Et toi ? T'as quelqu'un dans ta vie ? » Là, Until Dreams, pour une des rares fois de sa vie, resta coi et ne su que répondre. Sa vie sentimentale avait toujours été un désastre et cela, lui seul en avait conscience. Sa première vraie petite amie était tombée dans un lac au beau milieu de l'hiver lorsqu'ils s'amusaient. A la puberté, le gris avait tenté ce dont tous les mâles rêvent. Résultat : la belle demoiselle avait fait une allergie et ne voulait plus jamais le revoir. Ce genre de petites catastrophes lui arrivaient fréquemment et il se demandait parfois s'il ne portait pas la poisse à ses amours. Un soupir lui échappa. « Oh tu sais, ça va ça viens. » Le jeune mâle préférait rester vague, surtout en compagnie de sa sœur ¬¬

« J'ai une grande nouvelle à t'annoncer ! » Until cessa son mouvement de va-et-vient devant sa sœur pour la regarder fixement. Le gris n'était pas rassuré. Le grand sourire de sa jumelle ne fit qu'amplifier son inquiétude. Les rares grandes nouvelles qu'on lui avait annoncé de cette façon n'avait jamais été très bonnes. Sa mère lui avait annoncé de cette manière qu'elle avait décidé de leur faire une petite sœur ou un petit frère. Son père lui avait annoncé qu'il deviendrais chef de la harde. Sa petite amie lui avait dit qu'elle était enceinte. Sa sœur s'apprêtait-elle à faire de même ? « Je suis enceinte ! » Son sourire béat d'extase figea Until. C'était donc ça. Il resta un instant comme paralysé et jeta un œil vers le ventre fin et gracile de Luce. Cela devait faire peu de temps étant donné qu'elle conservait toujours sa silhouette fine et gracieuse. C'en plus que ce que le jeune étalon puisse supporter. Il explosa. « Non mais tu te rends compte ? Tu es aveuglée par l'amour !! Ce malfrat va te conduire dans des recoins sombres et il finira par te tuer et tu... tu... portes SON ENFANT ! » Sa voix vibrait de colère et de haine. Cet hypocrite risquait de briser sa chère sœur à jamais et elle n'y voyait que du feu ! Until dansait d'un pied sur l'autre, furieux. Il ne s'était jamais mis dans une telle colère contre la belle rouanne mais tout ceci était si.. dérisoire. Il désespérait de la voir un jour renoncer à ce piège.

« Que tu le veuilles ou non, tu seras Tonton ! » Until Dreams fit une moue et plongea son regard dans celui de sa jumelle. « Je veux bien être l'oncle de TON fils mais pas du SIEN. » Blessé, le jeune cheval gris se détourna de la rouanne et se retourna par là où il était arrivé. Il se retourna une dernière fois vers sa sœur avec une moue triste. Il lâcha un profond soupir et s'en alla, tête basse .

FIN (?)