« Soit. Ce n’est rien, c‘était la dernière fois. Je lui apprendrai tout ce qu’elle devra savoir. Elle deviendra comme moi, comme son père. Reste en dehors de cela, m’as-tu compris ? Je reviens dans quelques jours. » Un vague hochement de tête de la part de la jument, visiblement abattue, et il s’en alla. C’est ainsi que commença
son histoire.
« Tu la nommeras Caëmeth. » Après être revenu, il fixa la jument dite mère du poulain en question, avec dureté. « Pourquoi l’appeler, ainsi ?! C’est une femelle ! » « Tu sais très bien pourquoi. Ne m’oblige pas à répéter, tu sais ce qu’il risque de se passer. » Soumise, elle souffla ce prénom, une nouvelle fois. Ce prénom que l’on n’oubliera jamais. Ce prénom qui allait changer la vie de ce poulain. « Caëmeth .. » Il y avait au bord des lèvres de l’étalon une chose qui aurait pu être un sourire, et n’était peut-être qu’un tour que jouaient les ombres.
Ce fut sûrement une très grande déception. Cette naissance. La naissance de ce petit être si fragile, si adorable. Ce n’était pas la première, mais la dernière. Caëmeth n’était pas le seul poulain de cette « famille ». Doit-on appeler cela une famille, réellement ? Cette jeune pouliche avait de nombreuses sœurs mais pas le moindre frère. C’est de cette raison qu’est née cette déception, cette colère. Le père rêvait d’avoir un fils, il rêvait de pouvoir assurer, léguer une grande descendance à un mâle. Pour lui, les femelles ne servaient à rien. Elles ne servent à rien ; Peut-être juste à donner naissance à un poulain ou à accentuer un certain plaisir lors d’une saillie. Encore et encore, ils avaient essayé. Encore et encore, ils avaient échoué.
« Caëmeth, viens ici. Sais-tu qui tu es, hm ? » Ne répondant pas, elle fixait son père. « Je vois. Tôt ou tard, tu finiras par le savoir. Tu peux en être fière, je te l’assure. » Au fond d’elle-même, elle ne savait pas de quoi il parlait. C’était tellement étrange, que ce soit l’ambiance, les disputes entre ses parents et elle en passait. Le plus était, forcément, les paroles de son père. Que voulait-il dire ? Elle était encore petite et le fait d’assimiler cela la perturbait, de plus en plus.
Caëmeth grandit. Elle grandit sous un enseignement très spécial, de la part de son géniteur. En effet, il lui apprit de nombreuses choses comme être distante avec les autres équidés qui puissent l’entourer, ne garder que le négatif en soi, ne parler que lorsqu’on lui demande, prendre une voix grave. Spécial ? Cela n’était pas descriptif. « Ne sois pas ainsi, s’il te plait. Regarde ton comportement. Pour qui te prends-tu ? Une jument de plus dans ce monde ? Une jument qui ne fait rien, qui ne respecte rien, qui ne sert à rien. Je ne t’ai jamais appris cela. Qui es-tu ?! » La réponse était encore vague, très vague. Mais malheureusement, elle faisait partie de ces juments si malaimées par l’être qu’elle admirait tant. Des déceptions, des soupirs. La vie de Caëmeth ressemble énormément à cela. Tout se bousculait.
« Ma tendre et chère petite fille, que tu es belle. Je sais que cela est difficile, pour toi comme pour moi. Tu ne devrais pas prendre les paroles de ton père trop au sérieux. Il finira par te faire du mal, sois toi-même. Je suis fière de toi, de cette pouliche si attachante. Je ne vois pas ce que ton père souhaite en toi. Tu es bien tout le contraire. » Ce fut la première fois que Caëmeth entendit cela. Un gémissement sourd retentit, venant de la mère. Sa mère s’écroula, montrant le père, un sourire aux lèvres. La déception, la colère, les soupirs, la souffrance.
La mort.« Cela ira mieux la prochaine fois. Je sais que tu souffres, mais il est plus fort que toi. Tu finiras par l’être autant. Cela cicatrisera très vite. » Cette souffrance était de plus en plus douloureuse. Cette vie devenait de plus en plus difficile à supporter. « Tes muscles se développeront comme les miens, et cela en te battant contre les autres. Patience, Caëmeth. Patience. » Des combats, de nombreux combats. Des échecs. Du sang. Des pleurs.
« Oui, oui, oui ! Je suis si fier. Pense à ta mère, elle nous a trahi. Sois en colère, sois en rage. Montre ta souffrance. Bats-toi ! Montre à quel point tu es fort. Montre-moi ! Epate-moi ! » L’adversaire en face de Caëmeth s’écroula sur le sol, comme l’avait fait sa mère. Notre jument sourit, bombant le poitrail. « Qui es-tu, Caëmeth ? » « Le fils que tu as toujours rêvé. »
Voici ce qu’est devenu Caëmeth. Comment doit-on la qualifier ? Quelqu’un pourra lui faire entendre raison, lui montrant qui elle est, réellement ?
Caëmeth ne s'est jamais posé la question, en vérité. C'est peut-être la seule chose qui lui passe à côté, malgré ses nombreuses différences, elle souhaite vivre au jour le jour.