Entre ciel et terre.

...
Jalkäry.
...

♣ Jalkäry. On l'appelle parfois Jal'.
♣ Cinq ans.
♣ Il est pie. Une robe particulière, qui lui donne un certain charme.
♣ Mystérieux. Imprévisible. Secret. Réservé. Aimable. Distant. Instable. Blessé.

Histoire

♣ « Indigne. Mi-noir, mi-blanc. Cela signifie que les Dieux n'ont pas su choisir pour lui. Il ne réussira jamais rien dans la vie. Jamais. »
Telle a été la première phrase dite sur lui. C'est ce que le doyen du troupeau a dit à ses parents. Super, comme encouragement après la naissance, pas vrai ? Après avoir entendu cela, ses parents furent effrayés d'une telle destinée. Son père voulu le noyer. Sa mère refusa, et décida alors de l'abandonner. Un peu comme le petit Poucet. Ils l'emmenèrent dans une forêt lugubre. Sa mère sanglotait, tandis que son père le poussait en arrière. Ils ne voulaient pas garder un tel enfant. Son père était noir, sa mère était blanche. Ils avaient un fils indigne. Ils l'oublieront, et le remplaceront par un autre. Point barre. C'est ainsi, qu'après quelques heures sa naissance seulement, le poulain pie devint orphelin. Sans nom. Sans identité. Sans parents. Sans avenir. Sans espoir. Sans aucune chance de survivre.

« Regarde-le. Il est seul. »
« Nous ne pouvons pas prendre le risque de l'emmener. »
« Mais il ne survivra pas ici ! Nous devons le prendre, Saphir. »
« Bon, d'accord, Alice. Mais je te préviens. Tu en es responsable. »
« Crois-tu qu'il a un nom ? »
« Je ne pense pas. Il ne doit pas avoir plus de quelques heures. »
« Alors, il s'appelera Jalkäry. »
Et c'est ainsi qu'on le recueillit. Heureusement qu'un troupeau passait par là. Même si le dominant, Saphir, n'avait pas l'air pour, une gentille jument, Alice, assez âgée, avait su le convaincre. Et c'est ainsi qu'il grandit dans ce troupeau-là. Beaucoup étaient méfiants vis-à-vis de ce poulain orphelin, mais aucun n'osa le dire. Ce qu'il ignorait, c'est que certains prévoyaient déjà de le virer d'ici. Peu à peu, il était devenu proche du dominant. Et celui-ci parvint même à lui accorder sa confiance. Il lui apprenait à diriger, lui racontait l'histoire de ses ancêtres...

Et Jalkäry grandit peu à peu. Le dominant lui laissait parfois le dirigement du troupeau. L'étalon, alors âgé de deux ans, adorait cela. Mais ces choses en agaçaient beaucoup. D'autres étalons, plus anciens que lui ici et à peine plus âgés, le convoitaient beaucoup. Une jalousie dangereuse s'emparaient d'eux. Mais Jalkäry ne voyait rien venir. En réalité, il passait aussi beaucoup de temps avec une jument du même âge que lui. Fille de Saphir, du dominant, donc. Elle s'appelait Pastelle. Ils étaient très proches. Et bien sûr, le petit étalon en était fou amoureux. Mais il ne montrait rien. En réalité, il avait toujours su camoufler tout ce qu'il pensait. Il était très adroit pour cela. Mais Pastelle s'en aperçu et lui avoua qu'elle l'aimait aussi. Le dominant fut ravi. Il pensait faire de Jalkäry son succédeur. Ce n'était un secret pour personne. Mais comme toujours, beaucoup se taisaient mais brûlaient d'une haine froide. Une histoire n'est jamais belle jusqu'au bout.

« Et puisqu'on n'atteint pas le ciel, à moins de s'y brûler les ailes... »
Deux ans après, à présent âgé de quatre ans, fier et fort, respecté et accepté, Jalkäry sentit pleinement les menaces peser au-dessus de sa tête comme une épée de damoclès. Il entendit des propos alarmants sur son passage.
« On le coince une nuit. Et on le tue. Avec la petite Pastelle aussi, au moins, on pourra faire croire à une attaque. Et s'il fuit, on le retrouvera. Et on le traquera. »
Effrayé, il alla chercher conseil auprès de Saphir. Ce n'est pas pour lui qu'il avait peur. Mais pour sa chère Pastelle. Il l'aimait plus que tout. Plus que n'importe qui. Et elle l'acceptait, le traitait comme jamais on ne l'avait traité. Elle était la prunelle de ses yeux. Quand le dominant entendit tout cela, lui aussi eut peur pour sa fille. Et pour l'étalon pie, aussi.
« Tu sais, je deviens vieux. Je ne peux rien faire contre un groupe de chevaux. »
« Mais alors... que faire ? »
« Il faut que tu fuies. »
« Mais ils nous traqueront ! »
« Seul. »
« Mais... Pastelle partira à ma recherche, vous le savez ! »
« Pas si elle pense que tu ne l'aimes pas. »
Il sentit le sol tanguer sous ses pieds.
« Quoi... ? »
« Utilise ton talent. Fais lui croire que tu ne l'aimes pas, et que tu ne l'as jamais aimé. »
L'étalon sentit une douleur naitre au creux de son ventre.
« Non... »
« Blesse-la. Blesse-la pour la sauver. »
Il sentit l'air lui manquer.
« Tu en es capable. Fais ça pour elle. »
Jalkäry releva la tête.
« D'accord. Je vais le faire. Par amour pour elle. Adieu, Saphir. »
« Adieu, Jalkäry... »
Ce que le pie ne vit pas en faisant demi-tour, c'est la larme du dominant qui roulait jusqu'au sol.

Bon, il lui aurait fallu plus de temps. Des minutes, des heures, des jours, des mois, même des années entières pour se préparer à cela. Il n'avait que quelques secondes. Tout au plus.
Il alla la trouver. La gorge nouée. Mais pourtant, il était sûr de lui. Enfin, en apparence. Habitué, véritable comédien, il avait effacé de son visage toute trace de douleur. D'appréhension. Pourtant en lui, la panique le disputait à la douleur.
« Jalkäry ! Que fais-tu là ? » lui demanda-t-elle.
« Je m'en vais. »
« Quoi ? Comment ça, tu t'en vas ? »
« J'en ai assez de vivre ici. »
Impassible. Froid. Il fallait la blesser. La meurtrir. Qu'elle ne puisse pas croire qu'il faisait semblant.
« Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? »
Inquiète. Suspicieuse.
« Je m'en vais. Commencer une nouvelle vie. Ailleurs. »
« D'accord. Je viens avec toi. A part toi, rien ne me retient ici. »
« Je pars. Seul. »
Déstabilisée. Hésitante. Surprise.
« Mais qu'est-ce que... Je.. Je t'aime ! »
« C'est bien le problème. »
« Je ne comprends pas là. »
« Je ne t'aime pas. Ne t'ai jamais aimé. Je voulais juste prendre de l'assurance. A la base, diriger le troupeau. Alors, se mettre avec la fille du dominant, c'est le meilleur moyen. Mais le pouvoir ne m'intéresse plus, en réalité. Alors, je m'en vais. »
« Comment peux-tu... »
Des larmes perlaient dans les yeux de la jument. Fragile. Elle tremblait.
« Adieu, Pastelle. »
Et il fit demi-tour.

Longtemps il entendit son nom, qu'elle criait. Elle ne s'était pas lancée à sa poursuite, mais l'avait longtemps appelé. Puis au fur et à mesure qu'il s'éloignait, il ne l'avait plus entendu que dans sa tête. Et ces cris le déchiraient.
♣ Il les méprise, mais n'en parle pas. Au fond de lui, ils les tient pour responsable de tout ce qu'il lui ait arrivé. D'abord, l'abandon, puis ensuite, de devoir fuir. Jamais il ne leur accordera sa confiance.

Caractère

♣ C'est que le petite Jalkäry est loin d'être facile à comprendre. Si vous savez bien lu son histoire, vous y arriverez peut-être. Il est brisé, éteint, blessé de l'intérieur. Son coeur est en miette, car jamais il n'a cessé d'aimer Pastelle. Il est également rongé par une culpabilité lourde à porter. Oui, aujourd'hui, il s'en veut d'avoir fuit, d'avoir blessé Pastelle ainsi, de lui avoir fait croire tout cela. Il se dit que cela l'a peut-être sauvé, lui comme elle. Mais pourtant, il se dit qu'il aurait peut-être préféré périr avec elle. Se battre. Mais tout cela, il ne le montre pas. Il n'en dit rien. Seuls les adroits peuvent voir au plus profond de son regard la douleur qui le ronge. Mais pour les autres, il passera peut-être pour le genre d'étalon amical, entrain et simple. Point. Car c'est le masque derrière lequel il se cache. Amical, mais pas trop -il refuse de s'attacher-, souriant -même si son sourire est faux- et simple. Pourtant, il en faudrait peu pour briser ce masque, pour ôter la protection dont il s'est entouré. Un mot, un comportement, une vision. Un rien peut le déstabiliser, ce qui fait de lui un étalon très instable et imprévisible. Aussi, il ne parle jamais de son histoire, jamais de lui. Il ne parle pas de ce poulain rapidement orphelin, il ne parle pas de cet amour destructeur, il ne parle de rien. Il reportera toujours l'attention sur vous. Et bien souvent, cela suffit à des chevaux. Parler d'eux, sans poser de questions. Voilà ce qu'il faut au pie. Mais est-ce réellement ça qu'il lui faut ? Personne ne le sait. Niveau amour, l'étalon s'est bien promis de ne jamais se laisser piéger par ce sentiment une seconde fois. Non, jamais, jamais plus il ne sera amoureux. Jamais.